Lettre

 

où es-tu ?

où sont  les promontoires de roses

la route qui traverse les flammes,

les crêtes parjures ?

où est la perle qui

se ferme comme une coquille

où sont les carnavals d’avant la fin du monde ?

où est l’astre victorieux sur le drapeau ?

où est le cœur du brouillard ?

où es-tu

Où sommes-nous ?

 

Bei Dao

William Hess

 

Habitance



le jardin

ce novembre

sans voix

et les feuilles brunies

en amas

je te vois

par la fenêtre

tu ratisses – il faudra

disais-tu les laisser

pourrir là

je voudrais

te venir en aide

approcher ta fatigue

mais ça

tu ne le veux pas

  Yean j Yue

Chemin des moulins



dans le couloir

qui nous habite

nos corps flous

silencieux

flottent

sans poids

les murs

fleurent bon la prune

rance

rien ne bouge

rien n’est dit

sans doute

sommes-nous morts

un soir

sans même

le savoir

Matthew Beck

(de) La retenue

 

au temps

au regard

à la lumière

 

au jour déjà commencé,

qui devra prendre date

aux mots écrits pour ce jour-là.

 

à la lumière

 

soustraire au sens du fleuve,

au temps,

ce qu’il charrie,

ne pas le regarder couler

s’enfouir sous le vert gazon

qui borde ses rêves.

 

soustraire au cours ma propre voix

le monde à mes yeux

 

ce matin

au temps

au regard

à la lumière.

 

Lucie Taieb

Margherita Premuroso

(de) Au bord de l’infini

 

Des pinces à linge

En situation périlleuse

Retenant une robe si parfaite

Dans son contentement suspendu

Des draps blancs maculés

Des seaux d’eau sale

Une femme balaie le vent

Un jour idéal

Pour laver

La mémoire

 

Carolyn Carlson

Natsumi Hayashi

 

 

Confinement



ce qui

de l’intérieur

nous force à rompre

l’écorce des jours

ce sont ces images

accrochées au mur

fabuleux

car quelle que soit

le souffle

ou quelle que soit

la profondeur

des eaux

elles arborent encore

ce vers quoi

nous pourrions

aller

image Philip Holt

Le faux père

.

tu n’es pas

ce que nous sommes

ni même

ce que nous voulions être

tu n’es pas non plus

ce que désignent les mots

tes yeux sont un volcan

et tu racles ta peau jusqu’

au sang

.

Paul Klee

Ascendance



la mer sait

que les royaumes

disparaissent

dans le glissement

de sa langue

l’enfant le sait

lui-aussi

mais entre ses doigts

les algues sont des bannières

et les coquilles – même brisées

offrent l’ombre suffisante

pour y glisser

un secret

 Loretta Lux

(de) Toute minute est première

 

Mais gluante de gouttes

quand la vitre

s’illumine au soleil

 

de vieux visages s’y accolent

dispersés jadis par la mort

 

aigus dans la lumière

ils nous adjurent en paroles

maintenant mises au présent des oiseaux

de les regarder

du plus près que nous pouvons

de poser nos doigts sur la fenêtre

à la place exacte de leurs bouches

pour qu’ils soient moins partis, moins défaits, sentent

cette chaleur de peau étrangère

qu’ils ne peuvent plus

caresser, embrasser.

Alors je nous sens provisoires.

 

Marie-Claire Bancquart

 

(de) Le dimanche

 

Et maintenant que je chôme,

Que l’usine est froide et rouille,

Chaque jour est un dimanche,

Je hais chaque jour,

Je veux dormir,

J’aime seulement le sommeil.

Ô l’éveil dans le dégoûtant jour.

Je pense et je crève

Et je pense que je crève.

Aujourd’hui c’est dimanche

Éternel dimanche

Au fond de la ville.

 

Pierre Morhange

Francis Bacon