Peu de chose, rien qui chasse
l’effroi de perdre l’espace
est laissé à l’âme errante
Mais peut-être, plus légère
incertaine qu’elle dure,
est-elle celle qui chante
avec la voix la plus pure
les distances de la terre
Philippe Jacotet
tu penches la tête et passes la porte : au-delà du seuil, le monde respire
de visions, une onde impatiente qui charrie les odeurs des maisons,
humidité, rouille, cendre, essence, âges qui tournent au brun
les yeux survolent les têtes penchées sur les tables, la main sur le téléphone
on s’arrête au bar dans la matinée, le froid chante, la peau
reflète l’absence de geste
des caillots de lumière deviennent formes d’un doux sourire
enfoui
rabâcher
le poème qu’en est-il
de l’image
quand elle nage
toute trempée
se gonfle
se noie
épuisé
isolé mot
après mot
introuvable
privé de couleur
(in la mémoire des branchies)
nos corps blancs
que le courant emporte
au loin
l’eau n’est plus de l’eau
la lumière durcit et l’œil est
maintenant si las
que les racines
garnissent le ciel
vie absconse
au couchant
le passage se referme
sur lui-même
et les seuls visages
qui s’animent sont ceux
qui n’ont pas de nom
un soir
alors que rien
ni personne
la porte s’ouvre et c’est l’hiver
l’air s’engouffre
il fait froid
les yeux se ferment
on se couche en silence
contre soi
vivre pour ne pas
vivre
on rassemble le peu
qu’il reste
l’espace
s’organise
en une étrange abstraction
un remuement
de matière et de glaise
dans l’air blanc
du matin.
Marie-Josée Christien
une chaise paillée
avec des petites tables
en bronze
.
également
une collection de vieux livres
rangés par pile
.
il faudrait un voile pour ici masquer
la couleur du jour
.
un lampadaire branlant
et deux tirages en noir et blanc
dans un cadre clair
.
un homme qui prie
sous un buisson ardent et une grappe d’enfants
accrochés à des grilles
.
telle est la pièce
vois-tu dans laquelle
j’attends
Hachuré, le jour :
haché.
Pourtant s’infiltre,
Rebelle, éraflé.
La lumière du jour.
Lourdement pèse,
Plurielle,
Non encore levée,
La herse de l’ombre
Pierre Chappuis