Olga Tokarczuk

 

 » J’ai renoncé délibérément à travailler la langue depuis que j’ai commencé à être écrivaine. Je préfère créer des images. La langue n’est pour moi qu’un outil pour y parvenir. Voilà pourquoi la mienne est transparente. Je me souviens de l’époque où je préparais la première version de Dieu, le temps, les hommes et les anges. Mon obsession était d’atteindre à la plus extrême simplicité. A chaque fois que je trouvais une subordonnée, je l’éliminais afin que la langue devienne invisible pour le lecteur. » – Olga Tokarczuk

 

Lorand Gaspar

 

Éteins la parole

éteins la pensée

et va ! vole ! tombe !

sans haut ni bas

aspiré, foulé

dans les failles de l’air

entre courbures d’une mélodie

que personne ne joue

 

Lorand Gaspar

(texte et image)

 

 

 

(encore) Haruki Murakami

 

« Lorsqu’on descend au fond de sa conscience, il y a des choses que l’on voit, des bruits que l’on entend, et c’est tout ce matériel qu’on rassemble pour le remonter à la surface. Une fois que l’on dispose de ces éléments, il suffit de les agencer. Moi-même je ne sais pas comment se fait ce travail, c’est mystérieux. Si on écrit dans la logique, ce n’est plus une histoire qu’on raconte, mais une suite d’affirmations. Une histoire est belle parce qu’elle n’est pas explicable. »

Haruki Murakami – in Le Monde 18.07.19

Lire l’entretien complet

 

Antoine Emaz

 

 » Alors écrire, en plus ? Cela ne résout rien, ne guérit pas ; je vois cela plutôt comme une mise à plat, une façon d’y voir un peu plus clair, de respirer un peu mieux. Une sorte de prise d’écart, de distance : je ne suis plus muet, j’essaie de dire pour moi et l’autre ce qui, d’habitude, nous fait taire.

Écrire-vivre, c’est partir de ma vie jusqu’à ce qu’elle s’adresse, par le poème, aux autres, à leurs vies particulières. Le poète n’est pas devant tout le monde, guidant le peuple et voyant plus loin ; il est derrière, aussi aveugle que les autres, mais il dit son aveuglement, et son refus. Ce n’est pas refuser qui le distingue, mais son dire. Donc tout le travail consiste à rejoindre le commun en partant du singulier. Voilà le boulot d’écrire. Non pas exacerber l’individu, mais à partir d’une vie, que le poème sauve aussi comme vie personnelle, aller vers un vivre qui soit commun, collectif, une condition d’homme, si on veut. Si le lecteur ne se reconnaît pas dans le poème, j’ai raté ; si je ne me reconnais plus dans le poème, j’ai raté également. C’est assez simple. »

Antoine Emaz – les entretiens in-finis

 

 

 

Haruki Murakami

« Etre japonais, je ne sais pas ce que cela signifie. Je suis japonais de nationalité. Mes parents sont japonais. Je suis né ici. J’écris en japonais. J’aime les sushis… A part cela, je ne sais pas. J’ai découvert que j’étais japonais lorsque je vivais aux États-Unis où l’on me renvoyait sans cesse une image : celle « d’écrivain japonais ». Est-ce si important ? Sans doute la manière de penser, de regarder un paysage sont-elles marquées par une culture. Mais je ne pense pas que clarifier la différence soit si essentiel. C’est le message qui l’est – au-delà des particularités réelles ou supposées d’une appartenance culturelle. »

Haruki Murakami

Anise Koltz

 

« Dès que j’écris une phrase, je suis désorientée et embarrassée, déjà j’ai envie de la rejeter pour dire dans la suivante le contraire. C’est que j’ai toujours l’impression que l’essentiel m’échappe. La double face, le coté caché des choses.

D’autant plus que la poésie doit témoigner du mouvement de notre époque.

Or jamais dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu siècle plus barbare que le notre. Et les horreurs continuent et se multiplient dans tous les coins du monde. Nous sommes impuissants face à tant de misère, de corruption et de manipulation. Faut-il passer devant les drames qui ont lieu, les yeux fermés de peur d’être soi-même broyés par la violence ?

Le poète doit donc aussi prendre positon face au monde qui l’entoure.

Finis fleurs et petits oiseaux, Dieu est mort. »

Anise Koltz – in Somnambule du jour

 

Raymond Queneau

 

Ce soir

si j’écrivais un poème

pour la postérité ?

fichtre

la belle idée

je me sens sûr de moi

j’y vas

et

à

la

postérité

j’y dis merde et remerde

et reremerde

drôlement feintée

la postérité

qui attendait son poème

ah mais.

 

Raymond Queneau

 

 

Emmanuel Carrère

« Plus j’aboutis à quelque chose d’éloigné de mon point de départ, plus je me dis que ça valait le coup d’y aller. Il y a ceux qui tiennent à faire ce qu’ils ont voulu faire, et ceux qui espèrent faire quelque chose qu’ils n’avaient pas voulu faire. Que ce soit en écrivant de livres ou des films, tout le processus pour moi, est d’attendre de l’inattendu, d’espérer de l’inespéré. »   Emmanuel Carrère

André Velter

 

«  Avant de savoir si j’apprécie ou pas le texte que j’ai sous les yeux, j’aime à ce qu’il ne ressemble à rien de connu. Dès qu’un référent se superpose ou reste en filigrane, la lecture perd beaucoup de son intérêt pour moi. On peut bien sûr déceler dans un poème des résonances, des résurgences, des influences, mais ce qui est vraiment décisif, ce sont les sonorités inédites, les alliages de sons et de sens qui n’avaient pas encore été tentés, risqués, expérimentés. »

André Velter

(de) Le parti pris des choses

 

« Qu’on s’en persuade : il nous a fallu quelques raisons impérieuses pour devenir ou pour rester des poètes. Notre premier mobile fut sans doute le dégoût de ce qui nous oblige à penser et à dire, de ce à quoi notre nature d’homme nous force à prendre part.

Honteux de l’arrangement tel qu’il est des choses, honteux de ces grossiers camions qui passent en nous, de ces usines, manufactures, magasins, théâtres, monuments publics qui constituent bien plus que le décor de notre vie, honteux de cette agitation sordide des hommes non seulement autour de nous, nous avons observé que la Nature autrement puissante que les hommes fait dix fois moins de bruit, et que la nature dans l’homme, je veux dire la raison n’en fait pas du tout. »

Francis Ponge