Le suspens

.

Est sublime ce qui retombe

moins vite que nous, les pesants

Sublime la chose, l’être,

qui retient un instant sa chute

Le dégravir le ralenti le frein du périr

l’escalier dans le ciel

la fontaine romaine

le feu d’artifice

Le thrène populaire

.

Michel Deguy

kenny Hurtado

Hémorragie

.

Dans l’encadrement

tu te tiens

droite

et tu appelles le chat

absent ce matin

.

Assis à la table

je te regarde de profil

et je pense qu’il va falloir

quitter ce moment

comme tant d’autres

sans y être jamais

préparé

.

Dominique Ané

Amenda Jasnowski Pascual

Sans titre

.

Peut-être un soir, un
soir peut-être tard

.

Un verre empli d’anis et
une voix qui pleure

.

Peut-être qu’une voix
pleure

.

Un verre, le soir
peut-être tard

.

Je ne vais pas, plus
très loin

.

Très, trop, plus
trop loin

.

Michael DONHAUSER

William Klein (Autoportrait)

Un vieux papier

.

elle ne se soucie pas de politique

ne se soucie pas, sous la pluie

qu’un poisson transporte ailleurs un îlot, la géographie ne l’intéresse pas

au sortir du village, le soleil se lève sur tant d’horizons

que rien ne l’empêche d’atteindre le numéro 54 de la ruelle des amoureux, alors

elle ne se préoccupera pas du corps d’un homme, ni à marée basse

du poisson sur la plage — mort

.

elle se soucie moins encore de la mort, du coût des sépultures qui chaque année

grimpe

malade, elle n’y réfléchit guère, jusqu’à ne plus pouvoir bouger

ne plus pouvoir attraper le linge sur le balcon

le boire et le manger, elle n’en fait pas grand cas, les pesticides dans les légumes,

les huiles usagées, la mélamine tout cela est bien plus léger qu’une tristesse véritable

que crois-tu pouvoir contre moi? demande-t-elle comme à un amour passé

.

de quoi donc te soucies-tu ? questionne-t-il sans relâche

elle baisse la tête, aperçoit un vieux papier dans la corbeille

quelques traits de couleur

des caractères

tout chiffonnés

comme si ce papier

jamais n’avait été immaculé

.

YU Xiuhua

Aaron Canipe

Conseil pour le temps présent

.

Avant tout

tu dois croire

que le jour survient

quand le soleil se lève

Mais si tu ne le crois pas,

dis oui.

Ensuite,

tu dois croire

et de toutes tes forces,

que la nuit survient,

quand la lune se lève.

Si tu ne le crois pas,

dis oui,

ou approuve en hochant la tête,

cela ils l’acceptent également.

.

Ilse Aichenger

Martin Parr

(de) Corps, maisons, tumultes

.

La femme qui coud

vit dans le feuillage

d’un hiver sans oiseau.

Mais l’aube. Mais le temps.

Mais le garçon glacé

qui déchire les poèmes

qu’il n’écrivit jamais.

Roue de feu qui délire.

Obscur sans bleu

des mots frottés de mort.

.

Jacques Izoard

Jam Southam

(de) Autant que possible

.

Soir. Le ciel vire lentement et on passe dans l’air sans poids, dans l’espace soudain démesuré du mot ciel. Tout repose et on va comme on dort, sans comprendre quelle clé a tourné. D’évidence, il reste peu de temps : cela va se refermer, il n’y aura plus ni soir ni bleu, juste une vitre salle, la nuit, la lampe.

.

Antoine Emaz

Natacha Nikouline

(de) Beaupré

.

quelque chose

de ton souvenir

n’est plus le même

entendre

ma voix tu ne l’entendras plus que ne l’as-tu

écrire

et quand je pense à toi il n’y a plus que des mots

perdue

noyée dans le seul mot qui reste

Beaupré

.

Eric Sautou

Cig Harvey

(de) La lampe sous le boisseau

.

Juillet

Le bord de mer est une ville

La foule essaie

De l’œil

De marcher sur les vagues

.

Une femme vend des beignets

.

Le soir

Quand personne n’aime plus

Personne

.

Un couple

Sans bouger

Va remplacer la mer

.

Philippe De Boissy

Martin Parr