Treize


toi

le mal éclos

avec ce visage sans pli

sans faille

tes jours se remplissent

de bruits légers

de presque rien

et tu vis aujourd’hui

si loin que même la lumière ne peut

te traverser

Jean Dubuffet

Quinze



l’automne

échéant

les si peut-être

et les  si rien d’autre

s’envolent au vent

le silence s’épaissit

il change de forme

l’ici se rapproche de l’ailleurs

on en vient à se dire –

la douleur protège

forcément

Hanna Chroboczek

Le voyageur oublié


C’est la vie qui vous fait mourir,

Ecriviez-vous dans ce poème où tout
Demeure à vif : le crépitement des trolleys,
La nuque de l’amante à son miroir

Et jusqu’à la jeune morte sur son lit,
Tellement sage qu’on ne sait plus
Si c’est le temps qui passe ou nous
Qui passons à travers lui, les mains vides,

Comme un train somnambule à travers
La campagne endormie – et le voyageur
Oublié dans le creux de ses bras

Est un lac au soleil de midi, un lac
Que rien ne trouble, pas même le reflet
Du corps penché qui tremble dans la vitre.


Guy Goffette

Thérèse O’keffe

(de) Aux Aresquiers


je ne suis pas là non plus c’est vrai

alors je peux l’écrire


tu ne reviendras pas


je t’écris pour te dire à quel point enfin je sais

tu ne reviendras pas


Eric Sautou

Katrina Servoni

dix


sous l’a-vif

de la plaie

je deviens

peu à peu

ce que je redoute

l’hiver creuse la lumière

les jours avancent

jusqu’au silence

mes yeux brûlent

à force

d’obstination

Nadine Bourgne

neuf



il est là

sourd

tendu sous la peau

il attend

façonne le silence

glisse

jusqu’au bord du vertige

il ne craint

ni la nuit

ni le froid

et il me souffle à l’oreille –

il va sans dire


Markus Akesson

(de) Epiphanies de l’ange


Et pour toute la vie

obsédant d’un non

qu’on a dit, l’aube inconnue

d’une autre absence et toujours

ce souffle intérieur, qui ronge

les os plus encore que n’importe quel

tourment, dans le vide de ton

nom, lente langueur


Roberto Veracini

Alice Attie

(de) Allegretto Quieto


Enfermé tout l’hiver

Mon jardin est revenu

Dans sa jarre j’ai trouvé

Le visage des fleurs

Elles sont l’âme du oui

Que nos corps aiment.


Véronique Wautier

Julia Tatarchenko

huit


une autre façon

de l’écrire serait

celle-ci

cette main sur la rampe

l’escalier qui descend dans la rue

la rue

ces visages et ces voix

la lumière du jour

l’odeur du pain tiède

ce que la main effleure

ou l’œil entrouvre –

tout cela vois-tu n’est pas

ma vie

Gaétan Chambon

sept


le rêve

de quelqu’un d’autre –

cette fois

un homme nu – lui-aussi

descend un escalier

agrippé au bois de la rampe

mal en point et crevant de faim

ainsi projette-t-il

ce qui suit –

ah si j’avais été changé

en poisson ou en tournesol

j’aurais joui

d’une bien meilleure vie »

Franciam Charlot

  • Haruki Murakami