(de) la photo d’un génie

.

voici le passant

le chaud du jour sur le mur

le soleil dans la vitre des lunettes

la barbe blanche

le trou dans la joue droite

.

a vécu et a travaillé là

.

les mortels ont les doigts bavards

leurs secrets tombent dans l’œil

les morts serrent les paupières

ils jouissent de ce qu’ils ne savent plus

.

et le cœur attaché aux petites choses

comme l’enfant à ses jouets

une vie

qu’est qu’une vie

.

Bernard Noël

Benoit Courti

Trois haïkus de Kazuko Nishimura


Je taille une rose

redressant

sa tige

 

L’azur de mer fonce.

La terre commence

à faner

 

Les gens s’en vont.

Les arbres dépouillés

murmurent-ils

 

Kazuko Nishimura

Clay Maxwell Jordan

 

(de) Être en temps de guerre

 

 » Ne rien dire, rien faire, marquer un temps d’arrêt, ployer, se redresser, se faire un reproche, être debout, aller à la fenêtre, dans le mouvement changer d’avis, retourner à sa chaise, encore être debout, aller à la salle de bain, fermer la porte, ouvrir ensuite la porte, aller à la cuisine, ni manger ni boire, retourner à la table, être lasse, tenter quelques pas sur le tapis, se rapprocher de la cheminée, la regarder, la trouver terne, tourner à gauche jusqu’à la porte principale, revenir à la pièce, hésiter, continuer, juste un peu, un brin, s’arrêter, tirer le côté droit du rideau, puis l’autre côté, regarder le mur. » –

Etel Adnan

Olivia Arthur

 

 

(de) Guillaume Apollinaire

 

 » Je donnerai un détail amusant de cette conversation que le hasard me fit avoir avoir la mère d’Apollinaire. Elle était venue au Mercure demander si on voulait bien lui donner les livres de son fils, livres dont elle n’avait jamais lu une ligne et dont elle venait seulement de découvrir l’existence. Elle ne savait rien de la réputation qu’il s’était acquise et il avait fallu sa mort pour qu’elle en devint curieuse. Je la renseignais comme il convenait et quand je lui eus donné à comprendre à sa grande surprise, ce qu’était Apollinaire, elle eut ce mot presque orgueilleux dans sa naïveté  :  » Mon autre fils aussi est écrivain. Il écrit des articles financiers dans un journal de New York. »

Paul Léautaud

(de) Y revenir

 

J’ai appris au fil des années que les bouts du monde étaient innombrables. J’ai longtemps cru que Provins était le seul possible, l’unique port au seuil d’une mer qui n’existait pas. J’ai longtemps cru que j’étais né au terme d’un voyage que je n’avais pas fait et que je ne pouvais accomplir qu’à rebours.

Dominique Ané

L’ordre

 

Je mets beaucoup d’ordre dans mes idées.

Ça ne va pas tout seul :

Il y a des idées qui ne supportent pas l’ordre

Et qui préfèrent crever.

À la fin j’arrive à avoir beaucoup d’ordre,

Et presque plus d’idées.

 

Géo Norge

Jean Dubuffet

Dédicace 14

 

Je voudrais rester là, dans la rue froide
pour voir deux fenêtres allumées sur une façade.
Celle qui demeure ici m’est très chère.
Mon cœur est malade, lorsque c’est éclairé.

 

Marcher jusqu’au coin, revenir lentement,
pour te voir apparaître, qui sait.
Te savoir si proche… Pourquoi rester ici ?
Mon cœur est malade, lorsque c’est éclairé.

 

Karin Boye

de Basho

 

Neige sur neige

Ah cette lumière de décembre,

celle de la lune claire.

.                *

La mer sombre dans la nuit –

les cris des canards

vaguement blancs.

.                *

Jour de l’an –

En y réfléchissant

triste comme un soir d’automne.

 

Basho

Hiroshige

(de Poésie)

.

La terre toute entière visible

mesurable

pleine de temps

.

suspendue à une plume qui monte

de plus en plus lumineuse.

 

Philippe Jaccotet

 Riego Van Wersch